Je me pose souvent la question comment revivre après le deuil d’un enfant. La mort de Louis a été si soudaine, si brutale. Je me suis pris son décès en pleine face. Comment rebondir après ça ? Comment en tant que parent, survit-on à la mort de la chair de sa chair ?
Pour le moment, j’ai du mal à « revivre », à apprécier ces moments de bonheur avec mes deux garçons, mon mari, nos familles.
Hier, a lieu la diffusion sur France 5 du film documentaire « et j’ai choisi de vivre » (n’hésitez pas à le regarder en replay). La quête de sens d’une mère qui a perdu son jeune fils donne naissance à “Et je choisis de vivre”, un film lumineux qui parvient à mettre des mots sur le deuil et entrevoir la possibilité d’un nouvel élan de vie. Cette maman endeuillée décide de partir à la rencontre d’autres parents qui ont perdu des enfants et sont parvenus à se reconstruire. Si eux y sont arrivés, pourquoi pas elle ? Et si leurs expériences, leurs témoignages, leur bienveillance l’aident, pourquoi n’en serait-il pas de même pour d’autres parents endeuillés ?
J’ai trouvé ce film bouleversant, plein de messages positifs, de bienveillance pour nous, parents endeuillés.
J’aimerais vous partager ce texte également issue d’une conférence d’Annie Ernaux:
« Après la mort de son enfant, nous sommes des rescapés d’un cataclysme familial et ce drame va suivre toute notre vie…
La première question que l’on se pose après la mort de nos enfants est :
– Est-ce que j’ai envie de continuer à vivre sans cet enfant? Honnêtement, je crois que beaucoup de gens répondent: Non
Avec un recul de 21 ans je peux vous dire: “Au début, nous survivons et revivre ne peut s’envisager qu’après plusieurs années.”
Qu’est-ce qui peut nous aider à revivre?
Une étude anglaise sur le deuil montre que l’étau physique (gorge serrée, poids sur les épaules, etc.) ne commence à se desserrer qu’à partir de la 5 ème année de deuil. C’est long!
Alors que la société nous le refuse, accordons-nous le droit d’être mal pendant toutes ces années. Mais comment?
Tout d’abord, faire preuve de patience!
Patience vis-à-vis de nous-mêmes.
Patience envers les autres qui ne peuvent pas comprendre ce que nous sommes en train de traverser : la famille; ceux qui nous entourent; ceux qui ne cheminent pas au même rythme que nous. Nous sommes déçus, car nous n’avons pas l’aide attendue. Nous souffrons de solitude…
Certains nous disent “de tourner la page”… L’idée n’est pas de tourner la page, mais d’écrire cette page et jusqu’au bout!
En parler. La parole et la mort ne vont pas bien ensemble. Pourtant il faut en parler tout de suite pour ne pas laisser s’enkyster notre douleur.
Autour de nous, on nous dit tout le contraire. Nous dépensons plus d’énergie à conserver nos émotions qu’à les laisser s’exprimer. En parler fait du bien, même si ça ré-ouvre les émotions…
Donnons-nous ce droit de dire même plusieurs années après : Je suis ravagée! Ce qui nous pèse le plus, c’est ce visage souriant que nous nous donnons parfois. Les gens ne peuvent pas deviner nos besoins. Quelques fois, reconnaissons-le, nous aider est “Mission impossible”. Il faut que les gens sachent nous écouter sans nous conseiller… mais sachent aussi donner des conseils au bon moment…
À cet entourage, j’ai envie de dire : surtout ne nous jugez pas. Accueillez-nous et aimez-nous tels que nous sommes!
Nous avons tous des cicatrices physiques. À certains moments elles démangent, rougissent. C’est notre quotidien. Pour tous ceux qui ne nous ont pas compris, et qui ne nous comprennent toujours pas… relisez cette page!
Alterner les temps de “décentrage” et les temps de “recentrage” sur nous-mêmes. Ces périodes de “recentrage” nous fatiguent et nous prennent beaucoup d’énergie. La fuite nous tente devant ce face-à-face avec la souffrance….
Les temps de “décentrage” (appelés “distraction”) sont des activités, des moments où on se laisse entraîner par les autres. Alternons ces temps-là.
Après le deuil de notre enfant, nous avons honte d’aller bien. Et on ne s’autorise pas à prendre soin de soi au cours du deuil. Donnons-nous ce droit d’aller bien! Équilibrer des temps de solitude et de rencontre. L’isolement, c’est quelque chose que nous n’avons pas choisi. L’isolement, c’est ce que nous ressentons quand la société nous empêche de montrer notre tristesse, quand les amis fuient, quand le silence se fait lorsque nous arrivons quelque part, quand les gens traversent la rue pour ne pas nous rencontrer. La solitude, c’est ce temps où nous nous rencontrons nous-mêmes… et je crois que dans ce temps nous nous reconstruisons.
Ce temps, il faut nous le donner! La solitude, c’est aussi ce temps où nous rencontrons notre enfant qui n’est plus là.
Équilibrons les temps de solitude et les temps avec les autres.
Nous avons besoin de nous retrouver avec des “pairs” car l’incompréhension à l’extérieur est trop grande. Nous ne pouvons pas dire avec des mots ce que nous ressentons. Nous éprouvons des sentiments jamais éprouvés. Cette intensité de vécu est écrasante à certains moments.
Il faut s’appuyer sur l’authenticité. Qu’est-ce qui a été VRAI dans ma journée ? Qu’est-ce qui a été positif? Qu’est-ce qui a été beau? Ce peut être le soleil, une rencontre, un sourire, un coup de fil, etc.
Pour notre entourage, le temps qui passe provoque un effacement, comme une gomme. Aller mal devient inacceptable. Certaines personnes nous disent : Tu verras, avec le temps ça ira mieux! Dans 1 an, ça ira mieux!
Avec le temps, rien ne change! Nous n’osons plus dire que ça va mal de peur d’être mal vus, de peur de se retrouver seuls. Le temps devient notre ami quand nous avons compris que nous n’oublierons jamais notre enfant… même 50 ans après!
La présence intérieure habitera une partie de notre cœur, mais pas tout notre cœur. Nos enfants décédés nous font grandir le cœur…. Nous réalisons, alors, que nous ne sommes plus dévastés, brûlés de l’intérieur… que, peut-être, ce “labourage de notre terre intérieure” va permettre de semer des graines nouvelles. Parfois, on me parle “d’acceptation”, de “phases” à traverser…
Il n’y a pas de “phases” dans le deuil, il n’y a que des “aller-retour”.
Nous pouvons être encore en colère ou tristes 20 ans après et avoir des bouffées de colère forte qui reviennent. Nous sommes constamment ballottés entre l’avenir et le passé, le “ça va” et le “ça ne va pas”.
J’ai remplacé le mot “acceptation” par le mot “intégration”. Je ne peux pas accepter d’avoir perdu mon enfant, mais je peux l’intégrer, lui donner une place dans ma vie.
La mort d’un enfant fait partie des événements qui n’ont pas de sens en eux-mêmes. C’est l’absurde total ! Le sens va se construire à partir de nous. Il n’y a pas une voie, il y a autant de voies que de personnes. C’est un vrai travail à faire sur nous. Comment vais-je donner du sens? Il peut s’agir de changer une relation avec ceux qui me sont les plus proches.
Cette peine-là, nous suivra toute notre vie!
Personne ne peut nous l’enlever. Avec beaucoup de temps, il faut y croire, nous penserons à cette peine sans qu’elle nous déchire, nous décape à l’intérieur. L’émotion que nous ressentirons ne nous empêchera plus d’aller de l’avant. “On peut se laisser dépérir par le manque. On peut aussi y trouver un surcroît de vie!” C’est ce que je souhaite à chacun et chacune.
Après la mort de Louis, j’ai également beaucoup lu d’ouvrages sur le deuil et particulièrement le deuil de parent endeuillé. Le livre de Laurence Guillot-Noel, Revivre après le deuil d’un enfant, m’avait vraiment bouleversée. Je vous le conseille vraiment.
J’ai été récemment interviewée par le journal La Croix (interview ici) pour parler de l’accompagnement des parents endeuillés. Sachez que depuis le 1er janvier 2020, la CAF met en place un accompagnement pour les parents endeuillés. J’ai donc pris contact avec eux et j’ai prochainement rendez-vous avec un travailleur social pour parler de ma situation.
Si vous êtes parent endeuillé, je vous conseille vivement de contacter l’association Vivre son deuil, http://vivresondeuil.asso.fr/, qui a des antennes dans de nombreuses régions.
Quoi qui l’en soit, la façon de surmonter la mort d’un enfant est personnelle à chacun, à chaque membre de la famille. Et ce dont nous avons le plus besoin, ce ne sont pas des conseils, mais d’une écoute attentive et empathique, sans jugement qui nous permettra d’exprimer la force de nos émotions et les besoins qui s’y rattachent pour sortir peu à peu de ce tsunami émotionnel.
Je tenais à remercier nos familles, nos amis, toutes les marques de soutien, de bienveillance que nous avons reçu et que recevons encore suite au décès de notre petit ange.
1 commentaire
Je n’ose pas imaginer cette immense peine de vivre ce que vous avez vécu et dont personne ne pourra vous rendre ce petit Louis si cher à vos cœur. Ce petit garçon était rempli de joies, souriant et au travers les réseaux j’ai pu apprendre un peu à vous connaître. Force et courage ces mots sont ce qui vous définit. Prenez soin de vous